grossesse et hypertension arterielle 1ère partie

GROSSESSE ET HYPERTENSION ARTERIELLE

     

                                        

 

 

 

I. Définition et classification :

 

On peut distinguer 4 types d'hypertension artérielle :

– l’HTA chronique ou essentielle, définie par la présence d'une hypertension avant la grossesse ou découverte avant la 20e semaine de gestation.

– la prééclampsie (PE), définie par l'apparition d'une hypertension après la 20e semaine de grossesse (plus précocement en cas de môle hydatiforme ou d'anasarque fœtoplacentaire) associée à une protéinurie significative (0,3 g/24H ou 2 +). S'il existe des œdèmes, elle représente alors la forme complète anciennement dénommée toxémie gravidique.

– l’HTA chronique avec prééclampsie surajoutée. C’est une HTA chronique compliquée d’une prééclampsie.

– l’HTA gravidique (HTAG), définie par une hypertension artérielle apparaissant entre 20 semaines d'aménorrhée et les 24 premières heures du post-partum et qui restera isolée sans protéinurie.

La prééclampsie, pure ou surajoutée, représente l'une des principales causes de morbidité et mortalité materno-fœtales.

Dans certains cas, la protéinurie peut manquer initialement, il est cependant licite de suspecter une PE devant une HTA de  associée à l’un ou l’autre des signes suivants :

- œdèmes d’apparition brutale ou rapidement aggravés

- uricémie > à 350 µmol/L

- augmentation des ASAT au-delà des normes du laboratoire

- plaquettes < à 150.000/mm3

- retard de croissance in utero (RCIU).

L'HTA chronique est habituellement bien tolérée, si la pression artérielle diastolique est inférieure ou égale à 100 mm Hg ; cependant, elle peut être associée à des complications comme une hypotrophie fœtale (poids fœtal à la naissance < au 10e percentile des courbes de référence de Leroy et Lefort) ou l'hématome rétroplacentaire (HRP).

L'HTAG entraîne peu ou pas de complications. Son diagnostic ne peut être posé qu’a posteriori dans le post-partum.

 

II. Fréquence :

 

Environ 10 à 15% des nullipares et 3 à 5% des multipares vont développer une HTAG, alors que 3 à 7% des nullipares et 1 à 3% des multipares vont présenter une prééclampsie. Un certain nombre de facteurs de risque sont classiquement reconnus :

- génétiques : des antécédents de PE chez la mère ou une sœur font augmenter l’incidence d’un facteur 3 à 5

- immunologiques : la primiparité, une brève période d’exposition préalable au sperme du père, l’insémination avec donneur ;

- physiologiques : un âge maternel élevé ;

- environnementaux : la vie en altitude, le stress physique et psychologique ;

- liés à des pathologies maternelles : les antécédents de dysgravidie, l’obésité, l’insulino-résistance, les thrombophilies, les affections auto-immunes, l’HTA essentielle et les néphropathies chroniques ;

- liés à la grossesse : un intervalle long entre deux grossesses, une grossesse multiple, des anomalies congénitales ou chromosomiques du fœtus, l’anasarque fœtale et l’infection urinaire.

 

III physiopathologie de la prééclampsie :

 

L’examen d’un placenta après prééclampsie ne présente pas de lésion pathognomonique ; les anomalies observées sont de nature ischémique. Elles se présentent soit sous forme d’infarctus placentaire plus ou moins volumineux, soit sous forme de nécrose focale villositaire avec dépôts de fibrine.

Ces manifestations ischémiques sont secondaires à des troubles circulatoires maternels. En effet, en cas de prééclampsie, la vague d’invasion vasculaire trophoblastique du début du 2e trimestre est habituellement réduite ou absente. Il s’ensuit des modifications physiologiques vasculaires incomplètes, inconstantes, voire absentes. Les artères utéroplacentaires sont plus fines que no rmalement et ont conservé une média avec de ce fait un certain degré de contractilité. Ces artères utéroplacentaires sont souvent le siège d’une athérose aiguë.

L’ischémie placentaire à 3 effets primordiaux :

-production de radicaux d’oxygène et de peroxydes toxiques en particulier pour les cellules endothéliales ;

- accroissement possible de l’apoptose, point de départ d’une libération de fragments du syncytiotrophoblaste dans la circulation ;

-production de facteurs directement incriminés dans la physiopathologie du syndrome (VEGF : vascular endothelial growth factor). Le VEGF est une glycoprotéine d’origine placentaire induisant une altération de la perméabilité capillaire et perturbant la coagulation.

La sécrétion par le placenta ischémié de médiateurs actifs sur l’endothélium vasculaire maternel est responsable des manifestations cliniques de la PE. Il a été montré in vitro que les cellules endothéliales de patientes prééclamptiques sont susceptibles de stimuler la production de fibronectine et de réduire la prolifération endothéliale, la production de NO et de prostacycline.

IV Diagnostic

 

1) Clinique :

 

La mesure de la pression artérielle (PA) doit respecter plusieurs conditions : femme en position assise, bras totalement nu, niveau zéro du mercure à la hauteur de la pointe du cœur et un brassard adapté à l'épaisseur du bras. Le manomètre à colonne de mercure et la méthode auscultatoire servent de référence. Le niveau de PA diastolique est celui pour lequel il y a disparition complète de tous les bruits. Par définition, une HTA correspond à une pression artérielle systolique = 140 mm Hg et/ou une pression diastolique = 90 mm Hg, retrouvée à deux reprises.

Devant toute HTA, il faut rechercher l'existence de 2 signes cliniques :

- Une protéinurie, à type d'albuminurie (dont la recherche est obligatoire à chaque consultation prénatale) à l'aide de bandelettes. Une albuminurie retrouvée sous forme de traces ou une croix doit faire rechercher une infection urinaire. Vu les faibles performances du dépistage par bandelettes, il faut privilégier la détermination de la protéinurie des 24 heures, plus contraignante mais plus précise. Une albuminurie = 0,3 g/24H définit la prééclampsie.

- Des œdèmes, surtout s'ils sont d'apparition récente, effaçant les traits (faciès lunaire) ou boudinant les doigts (signe de la bague), associés à une prise de poids brutale récente. L'oligurie signe avec certitude leur caractère pathologique, mais il s'agit déjà d'un signe plus tardif.

En ce qui concerne le fœtus, le bien être fœtal est apprécié cliniquement par :

– La mesure de la hauteur utérine, utile dans la surveillance de la croissance fœtale, mais aléatoire chez la patiente obèse.

– La recherche d'une diminution des mouvements actifs, même si c'est un signe souvent trop tardif et peu spécifique.

La prise en charge de la PE est classiquement effectuée en hospitalisation. Il n’y a pas d’étude probante, qui permette de défendre la prise en charge à domicile ou en ambulatoire de patientes prééclamptiques.

 

2) Examens complémentaires :

 

1. Versant maternel

 

Si la patiente présente une HTA avant le début de la grossesse, il faut s'assurer que le bilan de cette hypertension a été complet (danger du phéochromocytome ou de la sténose de l'artère rénale pendant la grossesse).

Si la patiente est "à risques" (antécédents obstétricaux, diabète, collagénoses, néphropathies…), il faut chiffrer la protéinurie et la créatininémie en début de grossesse (avant 20 semaines d'aménorrhée).

La place du Doppler utérin commence à être bien codifiée. Il s'agit d'un marqueur précoce ayant une prédictibilité à très long terme pour la survenue d'une prééclampsie, d'un retard de croissance intra-utérin et d'un hématome rétroplacentaire, voire d’une mort fœtale in utero en fin de grossesse. Il doit être pratiqué de façon systématique chez les patientes à antécédents vasculaires gravidiques. Les anomalies retrouvées traduisent les altérations précoces de la placentation entraînant une ischémie utero-placentaire. L'absence de baisse des résistances périphériques expliquerait l'abaissement des flux diastoliques utérins mis en évidence par les indices doppler. La persistance de la couc he musculaire au niveau des artères spiralées serait, elle, responsable de la persistance de l'incisure protodiastolique appelée Notch.

Enfin, le bilan de toute hypertension artérielle pendant la grossesse doit comprendre un ionogramme sanguin et urinaire, une glycémie à jeun, un examen cytobactériologique des urines (ECBU), un électrocardiogramme (ECG) et un fond d'œil.

Points particuliers :

– La créatininémie doit être dosée systématiquement lors du premier bilan et répétée au cours de la grossesse en fonction de la gravité de l'HTA. Elle permet souvent de distinguer les cas associés à une altération initiale de la fonction rénale.

Elle est physiologiquement abaissée chez la femme enceinte ; de ce fait, des chiffres sensiblement normaux en début de grossesse témoignent déjà d'un certain degré de réduction de la filtration glomérulaire. Une créatininémie normale chez une femme enceinte varie entre 40 et 60 µmol/L.

– Le dosage de l'uricémie est un examen important, car son élévation est directement corrélée à la gravité de l'HTA ; il s’agit donc d’un bon facteur pronostique. Il faut rappeler que l'uricémie est physiologiquement abaissée en début de grossesse et qu'elle s'élève progressivement pour atteindre en fin de gestation des chiffres équivalents à ceux retrouvés chez des patientes non gravides. Les chiffres absolus peuvent être considérés comme anormaux, s’ils sont supérieurs à 350 µmol/L. Une élévation brutale de 50 µmol/L est également un facteur de mauvais pronostic. L'hypovolémie plasmatique "relative" est probablement une des causes de l'hyperuricémie.

– La numération formule sanguine (NFS) permet, outre la recherche d'une anémie, de mesurer l'hématocrite, qui est un excellent reflet de la volémie plasmatique.

L'élévation de l'hématocrite traduit une hypovolémie et constitue un facteur de mauvais pronostic en cas de prééclampsie. La numération formule sanguine permet également de rechercher les stigmates d'une hémolyse par une baisse progressive de l'hémoglobine. La recherche de schizocytes et le dosage de l'haptoglobine devront être effectués en cas de prééclampsie suspecte de se compliquer de HELLP syndrome.

 

– La numération des plaquettes fait obligatoirement partie de la surveillance des patientes présentant une HTA. L'apparition d'un thrombopénie d'abord modérée, puis sévère, témoigne de la gravité du pronostic et peut s'inscrire dans le cadre d'une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD).

– L'étude de l'hémostase comprend le taux de prothrombine (TP) et le temps de céphaline activée (TCA). Dans les formes d'HTA sévère, le dosage des D-Dimères est utile pour identifier et surveiller la présence d'une CIVD, parfois localisée. Il peut être complété par la mesure des PDF (Produits de Dégradation de la Fibrine).

– Le dosage des transaminases fait partie de la surveillance des patientes hypertendues. Leur élévation est parfois le premier stigmate de l'atteinte hépatique entrant dans le cadre du Hellp syndrome.

– Les troubles de la glycorégulation seront systématiquement recherchés par un test de charge en glucose comprenant une glycémie à jeun et une autre 1 h après l'ingestion de 50 g de glucose (test de O’Sullivan).

– La mesure de la volémie plasmatique est parfois pratiquée dans les formes où prédomine un retard de croissance intra-utérin sévère avec élévation modérée de la pression artérielle et d’apparition précoce au cours de la grossesse. Une hypovolémie peut imposer une réexpansion thérapeutique du volume

plasmatique par des perfusions d'albumine.

 

2. Versant fœtal

 

Il comprend l'étude de la croissance, de la morphologie et du bien-être fœtal.

Biométrie: L'échographie permet :

- L'évaluation de la croissance, par le suivi des principaux paramètres biométriques (diamètre bipariétal, périmètres céphalique et abdominal, longueur fémorale).

- Diverses formules permettent de donner une évaluation pondérale pouvant guider une décision d'extraction. La marge d’erreur est de 10% du poids fœtal, erreur qui est acceptable dans les petits poids.

Score de Manning: L'évaluation des critères biophysique du fœtus, dont les paramètres les plus utilisés en cas d'HTA, sont ceux regroupés dans le score de Manning. Celui-ci prend en compte l'étude du rythme cardiaque fœtal, la quantité de liquide amniotique, l’existence de mouvements respiratoires, de mouvements actifs du fœtus et l’appréciation de son tonus sur une durée de 30 minutes à l'échographie. La diminution de liquide amniotique (oligoamnios) et les anomalies du rythme cardiaque fœtal en sont les éléments essentiels.

L'étude morphologique complète du fœtus permettant d'écarter une malformation importante associée. Il faut rappeler l'association classique de certaines anomalies (en particulier trisomie 13 et triploïdie) avec la PE.

On recherchera :

- une grossesse molaire et un hydrops (notamment en cas de prééclampsie précoce), classiquement décrits mais exceptionnellement retrouvés.

- une avance de maturation du placenta (grade III selon la classification de Grannum).

Le doppler  : L’examen doppler consiste à mesurer la vitesse des flux sanguins au sein de divers vaisseaux. Sur un spectre doppler, on définira un pic systolique (S) et un pic diastolique (D) à partir desquels on obtient des index doppler. Le plus connu est l’index de résistance ou indice de Pourcelot : IR = (S- D) / S.

Plusieurs sites de mesure sont étudiés en routine obstétricale :

 

a) Le doppler utérin. Il consiste à explorer les artères utérines droite et gauche.

La mise en évidence d’un index de résistance élevé ou d’une incisure protodiastolique (notch) sont des facteurs de mauvais pronostic périnatal . Recherchée avant 24 semaines, l’existence d’un notch bilatéral permet de prédire plusieurs semaines à l’avance la survenue de RCIU

avec une

sensibilité de 58 %, une spécificité de 97 % et une valeur prédictive positive et négative de 31 et 99 % respectivement.

 

b) Le doppler ombilical . Il évalue le retentissement fœtal des anomalies placentaires. La mise en évidence d'un index ombilical pathologique (abaissement du flux diastolique) est un facteur de risque notable d'hypotrophie fœtale. Lorsqu'il devient extrêmement pathologique (index diastolique nul équivalent à la disparition totale du flux diastolique ou index diastolique négatif dénommé reverse-flow), sa valeur prédictive dans la survenue d'une souffrance fœtale est très forte. La surveillance du doppler ombilical doit faire partie de la surveillance de toute grossesse à haut-risque, puisque son intérêt a été parfaitement validé en clinique au cours de nombreuses études randomisées. Parmi les fœtus hypotrophes, son altération permet de repérer les hypotrophes nécessitant une surveiilance intensive et peut-être une extraction prématurée.

 

c) Le doppler cérébral: Il a pour but d'identifier une redistribution des flux sanguins fœtaux en réponse à une hypoxie. Si le doppler ombilical distingue les fœtus à risque de retard de croissance intra-utérin, le doppler cérébral dépiste les fœtus qui présentent des phénomènes de redistribution, donc d'adaptation. On a montré que, dans ces cas, les anomalies du rythme cardiaque fœtal surviennent en moyenne dans les 13 jours qui suivent. En période de grande prématurité, on ne pourra donc utiliser la vasodilatation cérébrale comme critère d’extraction vu l’importance de chaque jour de gagné in utero pour la morbidité-mortalité fœtales. De plus, chez certains fœtus, ce phénomène de redistribution peut disparaître, ce qui témoigne en général d’un très sombre pronostic dans les 2 -3 jours qui suivent.

 

d) Les dopplers veineux (veine ombilicale ou canal d’Arantius). Leurs anomalies précèdent de quelques heures celles du RCF ou de la mort in utero. Ils pourraient de ce fait constituer des critères d’extraction si leur valeur est confirmée.

 

Enregistrement du rythme cardiaque fœtal (RCF).

C’est le critère de référence le plus largement utilisé pour diagnostiquer la souffrance fœtale. Il reste l'élément décisionnel pour une extraction fœtale loin du terme. Ses anomalies peuvent prendre la forme d’une diminution de la réactivité, d’une diminution de la variabilité du rythme avec un aplatissement du tracé ou de décélérations.

On peut aujourd’hui recourir à l’analyse informatisée du RCF . On utilise pour cela des cardiotocographes particuliers capables d’analyser divers paramètres du RCF. Parmi eux, certains ne sont pas visibles à l’œil nu comme la variabilité à court terme (VCT) et les épisodes de haute variabilité. Ces 2 paramètres semblent plus intéressants que les paramètres classiques pour juger du bien-être fœtal notamment avant terme. Par ailleurs, l’analyse informatisée évite les variations d’interprétation individuelle et donne une valeur chiffrée aux différents paramètres ce qui permet d’établir une évolution dans le temps des divers paramètres.

 

 

Dr Sadok M.

 

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